Enchainant sur le même thème que le livre de Horne, j'ai lu le Frieser Le mythe de la guerre éclair, dont je soulignerais quelques aspects seulement.
Le Frieser est une perspective allemande sur la campagne de France, avec cette sorte dégoût palpable chaque fois qu'il faut à l'auteur écrire le nom d'un général nazi, surtout si par hasard sa conduite de commandement est à complimenter.
Le texte est excellent sur la campagne de France elle-même. Ici, il y a une structure bien plus heureuse que dans le Alistair Horne. Au lieu de décrire l'action jour par jour, en sautant d'une tête de pont à l'autre, Frieser suit chaque panzerdivision individuellement du 10 au 15 Mai. On comprend bien mieux. Et cette édition inclut une trentaine de cartes en couleur. Ouf !
Surtout, le texte fait ses choix. Il est très précis sur les forces en présence et sur la conception du plan d'attaque allemand. Il détaille la percée de Sedan pour montrer que ce ne sont pas les chars qui sont passés en premier. Il revient sur les conflits de commandements allemands - cette sorte de mille-feuilles d'opinions, l'opérationnel pensant blanc, son chef au groupe d'armées pensant noir, le chef suivant blanc, le grand chef noir. Il montre que si "l'ordre d'arrêt" des panzers est bien une interférence directe de Hitler dans la campagne, la prise de retard sur Dunkerque est d'un tout autre ressort (une sorte de scoop que sa perspective, d'ailleurs). Mais il ne perd pas spécialement de temps avec le groupe d'armée B, ou est plus léger avec les actions initiales de Rommel qu'avec celles de Guderian. Au final, c'est excellent pile là où il faut.
C'est en faisant cette monographie que l'auteur semble découvrir que "la blitzkrieg n'existe pas en 1940", pour s'employer alors à le souligner à chaque occasion. Toutefois, c'est cet aspect qui est le moins convaincant du texte, car il aurait fallu démontrer que la campagne de Pologne n'était en aucun cas un prémice de la France (or ce que Frieser en dit est allusif), puis que la technique se formalise après la France (et ici aussi c'est allusif, bien que nul ne lecteur ne puisse être surpris que ce soit vrai).
On regrettera une écriture un tout petit peu ras des pâquerettes quelques fois. Il est si difficile d'être à la fois un historien rigoureux et un bon raconteur d'histoire...
7 réactions
1 De Bir-Hacheim - 23/01/2011, 22:00
On peut également regretter le choix des éditions Belin de mettre la bibliographie en ligne et pas dans l'ouvrage.
http://www.bir-hacheim.com/un-magni...
2 De CM - 04/02/2011, 14:06
Soit je n'ai pas compris l'idée force de l'auteur, soit elle est fort mal présentée (en tout cas dans la version française).
Si l'auteur, dont le travail de recherche s'est nourri d'une analyse en profondeur des archives (même si on peut se demander dans quelle mesure il a aussi tenu compte des documents n'allant pas dans le sens de sa démonstration), a cherché à démontrer que la Blitzkrieg n'existait pas en 1940, il est difficile d'y adhérer (vu qu'il y a 1939, comme relevé ici, et tous les écrits antérieurs).
Je pense qu'en voulant montrer que la Blitzkrieg appliquée en 1940 n'était en rien une "rupture" dans l'art de la guerre (comme le serait l'art de la guerre napoléonien ou opérationnel), ce qui est intéressant en soin, il est allé trop loin jsuqu'à nier l'existence même de la Blitzkrieg avant 1941.
Car de fait, les succès de la Wehrmacht de 1939 et 1940 sont le fruit d'une longue réflexion partie des tranchées du front Ouest en 1915 (Argonne plus précisément, avec Rommel déjà, tiens tiens), en passant par la campagne de Falkenhayn en Roumanie en 1916, Riga et Caporetto en 1917, puis les grands offensives à l'Ouest du printemps 18. Ces opérations décortiquées pendant deux décennies par la Reichswehr (donc avec des officiers nourris des principes traditionnels de Clausewitz) vont amener les allemands à penser des méthodes d'attaque correspondants à leurs impératifs stratégiques du moment, et utilisant les moyens les plus modernes (qui leurs sont d'ailleurs interdits), jusqu'à aboutir à des conclusions mises en application en Pologne, France, Balkans et Russie (conclusions d'ailleurs connues également des autres armées modernes, avec chacune ses propres spécificités). La méthode qui va découler de ces conclusions trouvera vite ses limites, certes, mais de là à dire qu'il n'y a pas de méthode...
Donc oui, la victoire de mai 1940 s'est jouée à pas grand chose, mais je ne suis pas d'accord avec la thèse de Frieser selon laquelle elle n'a rien à voir avec le corpus théorique né d'une aussi longue démarche.
Ceci dit ce livre est facile à lire, et surtout il donne matière à débats (sans fin), ce qui après tout est une qualité.
CM
3 De le lecteur - 04/02/2011, 15:04
En fait, le Frieser est une histoire de la campagne de France centrée sur la percée des Ardennes. Le débat sur la doctrine y vient secondairement, seulement par ricochet. On n'a pas l'impression que Frieser se soit d'abord posé la question "cette doctrine, qu'en est-il?", sinon il aurait fait un livre fort différent.
Sur la campagne de France, par contre, son texte est clair, moderne et instructif. Il ne fait pas l'erreur de vouloir être exhaustif - donc il délaisse nombre d'actions secondaires - mais il détaille les points fondamentaux, et là au plus près des opérations. Je pense qu'il reste remarquable.
L'autre point intéressant est que les allemands, sans doute, n'imaginaient pas finir les français d'un coup. Ou du moins savaient qu'il leur faudrait bien plus que de la technique et de la volonté pour y parvenir: cad à la fois beaucoup de chance et l'aide active du commandement français. Mais après la Pologne et la France, après aussi la Yougoslavie, ils s'imaginent pouvoir recommencer en URSS. Ils finissent par avoir foi en l'idée de la Blitzkrieg, indépendamment des limites géographiques, économiques etc. Cette idée n'est qu'esquissée dans le Frieser, à la fin du texte.
4 De CM - 04/02/2011, 19:06
Je suis d'accord. Ce livre est excellent pour sa relation des combats, tirée des archives et non de récits de seconde main. mais j'ai (intellectuellement) décroché complètement dans ses chapitres sur la non-existence de la Blitzkrieg en 1940.
Surtout que je reste convaincu que si les allemands ne prévoyaient pas, dans leur grande majorité, un effondrement aussi rapide, Hitler lui visait cela et a tout misé là-dessus. Pas de surprise donc pour lui (et les désobéissances de Gudérian et de Rommel étaient voulues à Berlin, Hitler les couvrant d'ailleurs sans difficultés jusqu'à l'Haltbefehl). De même, Manstein avait conçu un plan visant un "KO" au premier round, donc dire ensuite que le KO est intervenu au premier round est intervenu par hasard et a stupéfait le commandement allemand....
J'ajoute que la tendance de l'auteur (allemand) à transformer cette "déculottée magistrale" en victoire des allemands, "à l'insu de leur plein gré", m'ennuie autant que la tendance d'auteurs (français) de présenter la défaite comme inéluctable, la campagne étant déjà jouée dès le 10 mai (du fait au choix : du Front Populaire, de la Cagoule, de la décadence de la République, de la trahison du grand capital, de la baronne maîtresse de Reynaud ou de je ne sais quoi...).
Pour ce qui est du style, je l'ai bien aimé (pour un militaire), mais c'est affaire de goût. D'ailleurs je ne suis pas le seul puisque ses paragraphes sur la percée d'Avesnes-Landrecies ont été "repris" (façon Hemingway de PPDA ;-)) par Lemay dans sa bio de Rommel.
Dans tous les cas, un outil de réflexion indispensable sur la campagne, que l'on adhère ou non aux conclusions de l'auteur.
CM
5 De Clayroger - 16/03/2011, 10:47
Bonjour,
A proprement parler, Frieser ne nie pas l'existence d'une tactique pensée de rupture et d'exploitation rapide et en profondeur. Cette tactique mise au point par une école de la Reischwehr prééxistante au nazisme est menée entre autres par Guderian. Mais Frieser précise l'organisation de cette tactique en montrant que la rupture n'est pas du fait des chars, mais d'une combinaison artillerie, infanterie (dont sapeurs) et aviation d'appui (Stukas). Ce n'est qu'après la rupture que les forces motorisées percent et exploitent en profondeur, désorganisant les arrières ennemis de manière décisive.
Son objection majeure porte sur la légende selon laquelle le "coup de faucille" a été pensé en partie par Hitler, à l'avance et exécuté selon ce plan par l'OKW, ce qui est une idée encore fort répandue dans l'historiographie. En s'appuyant sur des archives, Frieser montre qu'au delà de Sedan, il n'y avait pas de plan et que selon les préceptes opérationnels dans la Wehrmacht, on laissait "libres" les officiers en charge au plan opérationnel. Le coup de faucille est donc le résultat de cavaliers seuls d'officiers qui ont agi de leur propre initiative !
Cette assertion est directement corroborée par de nombreux témoignages, dont les mémoires de Guderian (certes supects) mais aussi par le journal d'Halder par exemple, dans lequel on peut lire qu'à son niveau, on se demandait le 18 mai 1940 s'il fallait poursuivre vers la mer (et exposer tout le flanc gauche de la percée) ou s'il fallait opérer une conversion vers Paris. Démontrant par là l'absence de plan à suivre coûte que coûte.
Voilà donc selon moi le grand intérêt de Frieser, et le titre du livre est donc mal choisi. Il aurait dû s'appeler : la légende du "Coup de faucille".
6 De Tietie007 - 31/05/2011, 05:37
Un autre bouquin que je dois acheter ...Mais si la Blitzkrieg n'existe pas, la création, au niveau organisationnel, du Groupe Blindée Kleist en fut une radicale nouveauté !
7 De le bleu - 23/08/2012, 04:03
Tout à fait d'accord avec le commentaire de Clayroger.
Le plus intéressant dans ce livre c'est l'exposé des raisons qui, selon l'auteur, ont permis la réussite du plan Manstein : Tandis que sur le terrain, les officiers allemands étaient libres d’agir à leur convenance pour atteindre les objectifs fixés par leur état-major, les officiers français attendaient désespérément les ordres de Paris. Des ordres qui, lorsqu’ils arrivaient, n’étaient déjà plus adaptés à la situation.
L’auteur nous explique comment les méthodes de commandement, d’organisation et de communication des armées allemandes eurent raison des blindés et canons français pourtant supérieurs techniquement. C'est pour moi l'apport principal de ce livre qui vient mettre à mal les idées reçues sur la soi-disant supériorité numérique et technique des blindés et avions allemands, de la décadence du soldat et de la société française, etc.
Ecrit de façon claire, dans ce livre, tout est limpide, presque logique, on comprend après sa lecture pourquoi coté français, la défaite était presque inévitable.