Cette biographie de Mountbatten est un ouvrage de vulgarisation facile d'accès. Bien que toute en admiration et complètement dénuée d'analyse ou de mise en perspective, elle reste, si on ne connaît pas le personnage, suffisamment ordonnée pour faire une lecture agréable.
Le nom de Mountbatten n'est pas tout à fait inconnu des francophones mais force est d'admettre que rares sont ceux qui peuvent en dire plus que quelques mots, évoquant peut-être un poste en Inde, sans doute une responsabilité dans l'échec sanglant de Dieppe, bref, un personnage secondaire de la 2nde guerre mondiale. La lecture de Kersaudy permet d'en apprécier l'exceptionnelle carrière. Né en 1900 au sein de la famille royale, marin avant tout, il prend pendant la guerre la direction des opérations combinées et est chargé de préparer les débarquements alliés; il est envoyé superviser les opérations en Inde et en Birmanie de fin 1943 à 1945; il est, à 47 ans, le dernier vice-roi des Indes et gère le passage à l'indépendance du pays et sa division en deux nations; revenu en Europe, il finit par atteindre le sommet de la hiérarchie navale britannique, et pousse même jusqu'à être le commandant de toutes les forces armées vers 1960; retraité actif, il est un être tellement symbolique qu'il se fait assassiner par l'IRA en 1979.
Mais plus que quoi que ce soit qu'il ait pu faire, c'est le personnage qui fascine Kersaudy. Lord Mountbatten est grand, beau, droit, sûr de lui, intelligent, énergique, travailleur, sportif, infatigable, curieux, inventif, riche évidemment, enthousiaste, tolérant, entouré de maîtresses, accessible à tous, chevaleresque, courageux, optimiste, et en plus de tout cela doté d'un charme et d'un charisme extraordinaires qui lui permettent de séduire en quelques instants quiconque vient à sa portée. D'ailleurs, tout le monde, mais vraiment tout le monde l'aime. Il en ressort un portrait lisse, sans aspérité, mais curieusement sans profondeur et presque difficile à croire.
Des opinions que peut avoir Mountbatten, par exemple en matière politique ou coloniale, il n'est jamais question. Des initiatives ou des ambitions du personnage, de ses quelques échecs, on ne parle guère. Jusqu'à son retour d'Inde en 1948, les promotions et les nominations lui arrivent sans qu'il les recherche, parce qu'on a pensé à lui, et parce qu'il semble incapable de refuser quand on lui demande un service[1]. Il est le 'bon camarade' parfait, celui à qui l'on peut confier la tâche la plus difficile mais qui y réussit avec brio grâce à ses multitudes qualités et un talent d'organisateur hors pair[2].
La lecture du texte, surtout la période jusqu'au début de la guerre, en est presque irritante. Les prouesses du jeune marin à l'ascendance royale, les tours du monde en paquebot et les séjours en palace, le mariage d'amour (bien sûr) avec l'héritière d'un milliardaire (ouf), enfin l'accumulation de petites histoires tout au long des pages donnent l'impression qu'on lit Point de vue ou qu'on est dans un film au téléphone blanc. Et la curieuse habitude qu'a Kersaudy de terminer ses paragraphes par des points de suspension n'aide pas[3].
Mais le texte s'améliore avec les années 1940. Après quelques pages bien rendues où l'on voit Mountbatten sur le pont d'un destroyer qui finit coulé au large de la Crète, son premier rôle d'importance est à la direction des opérations combinées, une organisation chargée de la logistique des débarquements alliés. Cessant subitement de chercher l'action, le danger et la gloire, il se révèle pleinement comme organisateur et meneur d'hommes. On se rend à peu près compte du travail accompli, même si le texte donne ici ou là l'impression que Mountbatten "marche sur l'eau".
Mountbatten est envoyé gérer le front d'Asie du Sud-Est fin 1943 (sans qu'il soit même suggéré qu'il ait pu regretter de ne pas prendre un commandement opérationnel dans les débarquements qu'il organisait depuis des mois). Kersaudy décrit alors avec clarté le sac de noeud que constitue le commandement allié, entre rivalités de personnes et confusion complète de l'organisation. Le tour réussit, et même si les conclusions ramenant tout à Mountbatten sont terriblement simplistes, on comprend pour la première fois quel talent il fallait au commandant pour remettre là-dedans suffisamment d'efficacité pour soutenir l'armée de Slim.
Le long développement sur l'indépendance de l'Inde fait le meilleur du livre. On pourrait penser que Mountbatten n'y joue qu'un rôle de transition; il est en fait, et pour la première fois, sur le devant de la scène. Kersaudy montre la difficulté de la tâche dans un pays profondément divisé, et comment Mountbatten parvient à gagner la confiance de pratiquement tous les interlocuteurs, à rendre évidente la bonne volonté du Royaume-Uni et à empêcher celui-ci d'être pris dans la tourmente des violences inter-ethniques. Il devient l'homme providentiel pour les dirigeants indiens eux-mêmes, qui, sentant le pays tomber dans le chaos le plus complet quelques jours après l'indépendance, le rappellent pour stabiliser la situation. Kersaudy parvient à faire sentir le caractère impossible de la mission et détaille comment Mountbatten, avec son charme, son énergie inépuisable, et son extraordinaire sens de l'organisation, parvient à s'en sortir.
On regrette bien sûr que l'auteur rate nombre d'occasions de prendre du recul par rapport à son héros, en posant la question des choix de vie, de ses influences, ou même simplement en creusant en quoi consiste ses qualités. Si le charme irrésistible de Mountbatten est répété chaque page, c'est une remarque incidente qui permet de comprendre, par exemple, le talent d'écoute et d'empathie qui le sous-tendait. De même, il ne faut pas attendre de ce texte une discussion objective ou éclairée sur les réalisations du personnage.
Cette lecture est ainsi un texte de vulgarisation ma foi réussi dans son genre. Linéaire, plus dense là où c'est le plus important, plutôt plaisant à lire, instructif: un honnête travail.
Notes
[1] A lire Kersaudy, on a l'impression que Mountbatten est comme un petit enfant, qui va être distrait par un objet passant à sa portée et complètement oublier ce qu'il était en train de faire auparavant. Ceci ne change que vers ses 50 ans, où pour la première fois Kersaudy le décrit comme voulant faire carrière - dans la marine, après avoir dirigé un continent.
[2] On a plusieurs fois l'impression que Mountbatten est un "mini-Marshall"
[3] Le tic d'écriture est si fréquent qu'il m'a fallu, pour ne pas cesser de lire, éduquer mon cerveau à ne "pas voir" ces points de suspension, à les remplacer par de simples points, qui font tout à fait l'affaire
5 réactions
1 De pionpion - 07/09/2012, 17:17
Intéressant. Pas facile d'écrire une biographie !
2 De Cliophage - 08/09/2012, 09:11
Certes non !
Il n'est d'ailleurs pas aisé de faire la juste part des choses et de juger une oeuvre telle qu'elle prétend être, et non telle que l'on aurait voulu qu'elle soit. Critique très intéressante et équilibrée de notre Lecteur. Merci.
3 De Stéphane Mantoux - 08/09/2012, 18:37
On retrouve dans ta fiche certaines caractéristiques de la biographie de Hitler dans la collection Maîtres de guerre, chez Perrin.
Pour le coup, avec un personnage avec lequel les limites de l'exercice posent vraiment problème.
Quant à l'écriture des fiches de lecture... tout un art, Vincent. Parfois je suis content de certaines, parfois j'ai l'impression d'être incomplet et même de m'être planté.
Sur ce que j'écrivais sur le Métronome, par exemple, un commentateur m'a récemment fait réfléchir et douter de la pertinence de mon billet, qui n'était, en fait, pas très constructif.
On peut toujours s'améliorer...en doutant.
Cordialement.
4 De revizor - 10/02/2013, 16:50
Pas facile en effet d'écrire une biographie, car si la critique est aisée, l'art est difficile ! Ce critique-ci manque (si je puis me permettre) de recul, d'esprit d'analyse et de mise en perspective. Dans le cas contraire, il aurait noté que le biographe relève les nombreux défauts de Mountbatten (imprudence, vanité, arrivisme), ainsi que ses échecs (notamment les torpillages dus à une trop grande témérité, le désastre de Dieppe et le débarquement en Malaisie.) Il aurait sans doute aussi relevé qu'un homme comme Mountbatten, qui comptait parmi ses plus grands admirateurs de Gaulle, Roosevelt, Churchill, George VI, Tchang-kaï-Chek, Attlee, Nehru, Gandhi et le colonel Remy (voir le livre de ce dernier intitulé "Mes grands hommes") ne pouvait pas être un personnage tout à fait ordinaire - "normal", comme dirait notre président. "Le lecteur" en aurait sans doute conclu honnêtement qu'un homme qui a presque tout réussi dans sa vie et a sauvé des millions d'hommes ne pouvait qu'attirer après sa mort l'aigreur des envieux et de ceux qui ne l'ont pas connu (ce sont généralement les mêmes).
5 De le lecteur - 10/02/2013, 23:55
@revizor
Hum... Sans aucun doute, on trouvera dans ce texte, ici ou là, une remarque non-louangeuse sur Mountbatten. Elles restent difficiles à percevoir tellement les éloges y sont plus appuyés. Je suis surpris que relever ce fait soit troublant. Il n'y a pas de mal pour un biographe à être fasciné par son objet, et pourquoi être gêné que les lecteurs le ressentent? (Enfin, si on imagine, sur Napoléon, vous savez, qui été admiré par des gens aussi divers que Beethoven ou Nietzsche, une biographie qui serait à 90% d'éloges, on n'en dirait pas de suite qu'elle montre recul et esprit d'analyse).
Imprudence, arrivisme, vanité... L'imprudence est certainement un trait du personnage, mais on dirait plutôt de "sûr de soi", certain que par sa naissance tout lui sera naturellement à portée. Je ne sais guère si cela est un défaut. L'arrivisme de Mountbatten ne m'a pas du tout frappé dans ce texte. Au contraire, on a l'impression que les promotions lui tombent dessus 'malgré lui', qu'il n'a pas spécialement d'ambition, du moins pas avant son retour d'Inde. La vanité, certainement, mais par un effet singulier, elle n'irrite en aucun cas son entourage. Une vanité qui ne heurte personne, est-ce un défaut?
Le texte ne fait pas l'impasse sur Dieppe (comment aurait-il pu?). La façon d'approcher le sujet est d'abord de chercher des excuses à Mountbatten. Mais enfin, devant les faits, il faut bien se résoudre à dire que le personnage a failli, alors, allez, on respire un grand coup et on l'affirme sur 2 paragraphes. C'est fait, on peut passer à autre chose. Voici l'impression que donne le texte; pas d'une discussion équilibrée sur les alternatives qu'avait Mountbatten (avant, pendant, après), ou - surtout pas ! - sur une éventuelle faille dans ses qualités ou ses compétences.
Enfin - cela parait évident, mais... - ces commentaires ne portent pas sur l'individu Mountbatten (sur qui je ne connaissais quasiment rien), mais sur le livre de F.Kersaudy. La note de lecture résume l'impression que donne le livre, pas l'impression que donne Mountbatten.