Chronique publiée en échange avec War Studies Publications
L'ancien ambassadeur britannique en Russie, Rodric Braithwaite, nous livre ici une histoire de la guerre soviétique en Afghanistan qui vaut que l'on s'y attarde.
Plutôt que de raconter le déroulement des campagnes, Braithwaite souhaite nous faire partager ce qu'a été le quotidien des milliers de soldats engagés dans le pays. L'ouvrage revient en détails sur la décision politique d'intervenir militairement en Afghanistan. Il rappelle le contexte particulier des luttes de pouvoir au sein du gouvernement afghan et des rivalités au sein des communistes locaux eux-mêmes, montrant ainsi les manipulations réciproques entres Soviétiques et Afghans. Il n'oublie pas d'évoquer le contexte international, et montre comment les membres les plus interventionnistes du Politburo ont rappelé que les Américains abandonnaient la détente en rejetant les accords SALT II, finançant les missiles MX et les bombardiers B1 et déployant les Pershing en Europe, et qu'ils ont voulu éviter une percée américaine sur le flanc sud.
Après l'analyse du contexte politique, Braithwaite raconte avec force détails le coup d'Etat et la prise du pouvoir par les clients des Soviétiques. La narration de l'assaut donné au palais présidentiel vaut celle d'un thriller d'action, et l'on apprécie la variété des perspectives que l'auteur analyse.
Mais le cœur de l'ouvrage est constitué par une étude fouillée de ce que l'on peut appeler "l'expérience" des troupes de l'Armée Rouge en Afghanistan. L'auteur raconte les conditions de vie des soldats (allant jusqu'à évoquer la taille des tentes), étudie les relations entre troupes d'élites et troupes régulières ou entre civils et militaires, évoque les aspects les plus honteux (comme les trafics, les brimades ou l'ouverture du feu sans discrimination) mais aussi les heures de gloire. Cette étude est passionnante.
Les sources de l'auteur sont principalement russes, complétées une série d'entretiens avec d'anciens soldats. Ne parlant pas russe moi-même, je ne peux pas me prononcer sur la pertinence des ouvrages et articles cités, mais le résultat final est convaincant.
Au fil de l'ouvrage se dégage l'impression que tout ce que la stratégie de l'ISAF essaye d'accomplir (former les forces de sécurité afghanes, assurer un système de gouvernance un tant soit peu viable et promouvoir des normes culturelles rejetées par le contexte local) a déjà été tenté sans succès par les Soviétiques. L'auteur ne fait rien pour atténuer cette impression, et suggère de lui-même le parallèle à plusieurs occasions. Cet aspect est le moins réussi du livre, car l'auteur re reconnaît explicitement faire une comparaison (se privant ainsi de la rigueur méthodologique qui doit accompagner le comparatisme en histoire ou en science politique), et crée donc une distorsion de la perception du conflit actuel conduisant à des banalités du type: "l'histoire se répète".
Néanmoins, malgré ce menu défaut facile à surmonter, l'ouvrage de Braithwaite est une référence pour tout lecteur intéressé par la campagne soviétique en Afghanistan. Ceux qui recherchent une analyse des tactiques ou des campagnes resteront sur le faim (mais peuvent se référer à l'excellent ouvrage de Mériadec Maffray), tandis que ceux intéressés par le contexte politique et la vie au jour le jour d'une troupe d'occupation seront comblés.
2 réactions
1 De Tietie007 - 19/11/2012, 21:17
Dommage que ce bouquin ne soit qu'en anglais ...ça me fatigue de lire dans la langue de Shakespeare ! Pour le conflit afghan, le bouquin de Dupeigne et Rossignol, "Le carrefour afghan", qui traite de l'Afghanistan en général, et qui aborde aussi le conflit avec les soviétiques, est assez intéressant et nous donne la stratégie primaire appliquée par les soviétiques, qui tiennent les villes et laissent les campagnes aux djihadistes, en faisant un no-mans land autour des cités. Le conflit a changé de caractère lorsque les américains ont commencé à filer des Stinger aux djihadistes, en 1986 ...par contre, si les soviétiques se sont retirés en 1989, ils ont continué à aider le gouvernement Najibuallah, notamment dans la grande bataille de Jalalabad.
Le bouquin de Jason Burke, sur l'histoire d'Al Qaeda, est assez éclairant sur le conflit avec les russes. On y apprend, notamment, que les pakistanais ont écarté les américains du terrain (accord avec Zia), et que les 2/3 de l'aide aux moudjahidin fut financé par les saoudiens, les américains n'en ayant financé qu'un tiers.
2 De Stéphane Mantoux - 20/11/2012, 20:31
Bonjour,
L'importance des Stinger est largement surfaite. Certes les pertes en hélicoptères augmentent mais c'est surtout parce qu'ils forcent ceux-ci à évoluer à très basse altitude ou au contraire à très haute altitude (les rendant plus vulnérables aux autres armes antiaériennes ou beaucoup moins efficaces) que les MANPADS américains ont une importance certaine, contraignant les Soviétiques à arrêter, notamment, les raids contre les convois de ravitaillement rebelles dans les provinces frontalières avec le Pakistan. Il n'en demeure pas moins que les tactiques aéromobiles de l'Armée Rouge se sont beaucoup affinées durant le conflit, même si elles ne compensent pas le manque d'appareils, criant du début à la fin. Mais les troupes héliportées, à côté des paras, des Spetsnaz, des unités de reconnaissance, se sont hissées au niveau de l'élite d'une armée à la veille de son crépuscule.
Cordialement.