Sous le feu est un petit livre étrange et vaguement dérangeant sur le comportement émotionnel du soldat lors des brèves séquences du combat d'infanterie.
Une quinzaine de courts chapitres évoquent les conditions extrêmes vécues pendant le combat, l'exaltation et l'anesthésie pendant l'assaut, la peur viscérale qui le précède, l'angoisse de celui qui subit un bombardement ou risque un torpillage sans pouvoir répliquer, l'acte de tuer dans ce qu'il est plus rare qu'on ne l'imagine, la pression du groupe, ou encore l'importance de décider vite plutôt que bien. L'auteur, qui distingue d'emblée la minorité "d'acteurs" de la masse de "figurants", illustre l'ensemble de très nombreux exemples étalés sur un siècle, de la Grande Guerre à l'Afghanistan. Le tout se lit très facilement.
Le texte est une suite d'illustrations et n'inclut quasiment pas d'analyse. La méthode est toujours l'accumulation de points de vue uniformes. Des auteurs régulièrement convoqués par Goya ne sont retenues que les citations allant dans la ligne du propos présenté, et sans jamais qu'il y ait une présentation d'alternatives. Même, ces citations, ces témoignages, ou tout simplement l'expérience propre de l'auteur, ne font jamais l'objet d'une discussion. Le livre en vient à présenter sans aucun recul les témoignages d'Ernst Jünger comme les analyses - pourtant polémiques - de S.L.A. Marshall sur le "ratio de tir" du soldat, ou à reprendre comme si elle était totalement évidente la thèse du "groupe primaire"[1]. Petit à petit, on soupçonne que derrière l'étalage de références, le livre manque d'abord de profondeur.
Car aucune thèse n'émerge du texte. Les chapitres peuvent se lire dans le désordre, et il n'y pas de conclusion. Le lecteur prend progressivement conscience que sous un vernis analytique, ce Sous le feu n'est peut-être que... de la publicité. Les aspects cradingues du combat sont gommés pour n'en retenir que ce qui est présentable. L'angoisse et la peur sont décrites de façon très concrètes, mais pas jusqu'à mentionner que les combattants en sont à se faire dessus. L'exaltation du combat est fascinante (rapidité, anesthésie, vision comme étendue ou au contraire comme micro-focalisée etc.) mais on ne parle pas de la joie de puissance ni de la possibilité voire du plaisir à une violence gratuite. La cohésion de la troupe est un facteur clé de succès en omettant que cela puisse se faire en désignant un souffre-douleur. Le long développement sur les centaines de cartouches à tirer pour toucher une fois peut se lire comme une explication que les soldats, après tout, ne tuent pas souvent[2]. Et les quelques piques contre le pouvoir politique, quand il anéantit les efforts sur le terrain, se font en évitant une critique même feutrée de l'état-major des armées...
On comprend alors mieux le côté cinématographique des trois récits de combat qui encadrent le texte, au début, au milieu, à la fin du livre. Présentés à la première personne, efficacement racontés comme en camera subjective, montage haché ou plans séquences compris, ils ne sont pas là pour expliquer mais pour séduire. Un autre lecteur compare Sous le feu à Tom Clancy, John Keegan ou Jacques Benoist-Méchin: l'ouvrage tient en effet de la pop history, non de la recherche.
Notes
[1] Le "groupe primaire" est la réponse apportée à la question de la cohésion des armées allemandes jusqu'à la fin de la guerre. La thèse vient d'entretiens menés par les Américains avec des prisonniers allemands, et est d'autant plus populaire que d'autres auteurs américains ont souligné que le système de renforts de l'US Army, par exemple en affectant un soldat sorti d'hôpital là il y a un besoin plutôt que dans son unité d'origine, allait contre ces "groupes primaires". La thèse est néanmoins critiquée, et depuis longtemps: les prisonniers allemands interrogés étaient au Danemark et avaient peu ou pas combattu; l'analyse statistique d'Omer Bartov montre que les groupes primaires, si on peut imaginer qu'ils existaient en 1941, ont été complètement démantelés par les premiers mois de guerre contre l'URSS. Comme alternative au "groupe primaire" ont par exemple été mis en avant le lavage de cerveau créé par le bombardement de propagande, la répression hyper violente contre celui qui se défilerait, ou encore la simple pression sociale venant d'être observé par ses pairs.
[2] Un petit peu comme certains diraient que, vu le nombre d'excès de vitesse et la rareté, finalement, des accidents de la route, il n'y a pas de quoi réprimander les chauffards
2 réactions
1 De Jack - 12/12/2014, 00:24
La critique est bien tournée mais on voit bien que son auteur n'a jamais participé à des combats de moyenne ou haute intensité, sauf en rêve ou en lecture sans doute. Goya lui a pratiqué et parle d'expérience, ce qui fait sa force et resonne vrai chez ceux qui ont vécu ce genre de drame humain. Oui d'accord il séduit, oui il a organisé son texte comme ci ou comme ça, oui ! MAIS ce n'est pas un bouquin de chercheur bobo ou bien pensant ni une analyse de technocrate. C'est un livre ecrit par un praticien qui est aussi un peu historien et qui a retrouvé dans le passé des situations concordantes avec celles qu'il a vécues ds les balkans ou en Afrique.
On pourrait continuer à decortiquer cette critique qui est une mauvaise salade. L'auteur critique a peut etre souffert autrefois d'un service militaire difficile pour parler de souffre douleur. Ce sont des cas particuliers rares et pas des realités. Enfin, Goya s'est fait mechament shooter par l'EMA plusieurs fois pour avoir dit ce qu'il pensait. Le taxer de choyer l'EMA dans ses piques est vraiment trop mignon.
La guerre n'est pas un jeu video ni une emission de tv realité. Retournez a vos études avant de porter des jugements aussi amateurs.
Ce bouquin est precieux, lu et relu par bcp d'autres praticiens, il appartient d'ailleurs au corpus de retex de l'armée de terre française. Vive la guerre !
Bravo mon colonel, on avait pas eu cela depuis longtemps.
2 De le lecteur - 12/12/2014, 11:16
Hum... Je ne pense pas qu'il y ait, parmi les critiques de ce livre, beaucoup de gens qui aient participé à des combats. Et on ne le leur reproche pas s'ils viennent à être fort laudateurs sur le livre. Mais laissons tomber cet aspect "je critique celui qui parle", dont on sait qu'il est d'abord le recours de ceux qui ne peuvent rien reprocher au fond ni à la forme.
Sur le fond, comme le sous-entend Jack, le propos du livre est en déséquilibre. S'agit-il d'un recueil de témoignages, des recommandations d'un praticien? En ce cas, pourquoi encombrer le texte de références historiques et ne pas se contenter de ces témoignages, avec si besoin un commentaire et des conclusions ou des recommandations?
Mais si au contraire le livre est une synthèse de la façon dont le combat est compris, pourquoi une recherche avec si peu de recul sur ce que racontent les auteurs précédents?
(je le mentionnais pas, car c'est un détail, mais on voit par exemple un passage sur El Alamein qui est un contre-sens - l'auteur s'en tenant aux avis de salon sur cette bataille - "bataille inutile", "énorme supériorité de moyens" )
Comme toujours, je ne critique que le livre que j'ai entre les mains et ni son auteur ni le reste de son oeuvre. Or je crains d'être factuel sur l'absence de critique de l'EMA dans ce texte, et sur le fait que cela se perçoit quand l'auteur, par contre, souligne des insuffisances des pouvoirs politiques. J'ai, après avoir écrit cette critique, pris conscience que le texte est plus ancien que ce que sa date de publication suggère: il a été conçu et écrit il y a une dizaine d'années (vers 2006), et pas du tout dans l'esprit d'une publication en librairie. Cela pourrait expliquer cet aspect curieux, ce mélange de témoignages et de recherche incomplète. Quand on écrit pour ses collègues, ou dans le but d'une présentation en interne de son organisation, on peut se permettre moults raccourcis, tout en ne pouvant pas étaler des reproches visant la hiérarchie...